Gisèle Jouatte

Je suis pupille de la nation, ma maman a élevé seule ses 3 enfants, nous habitions alors un village en Lorraine.  Je l’ai tellement vue pleurer, tant la vie était dure. Enfant je ne comprenais pas tout,  mais une hargne s’est emparée de moi. Voir les grenouilles de bénitiers, le curé et les bonnes sœurs nous maltraiter à l’école parce que nous étions pauvres, idem pour les notables du coin, le pharmacien qui lui faisait payer les médicaments alors qu’il se faisait rembourser par l’A.M.G. 

En entrant à la SEITA en 1958, j’ai découvert la CGT et j’ai appris et compris au contact des collègues et des camarades la nécessité de canaliser cette hargne pour se défendre et défendre les travailleurs. La même année je suis entrée au bureau syndical, j’ai réfléchi qu’il fallait se battre mais bien connaître ses adversaires. J’ai ensuite adhéré au Parti et combattu tous ces nantis et nos dirigeants gouvernementaux. Surtout à ces moments-là en Lorraine, il y avait les manifs pour sauver l’industrie et les mines de charbon, toutes nos gueules noires et les cristalleries dont la Lorraine pouvait être fière même si déjà on envoyait notre charbon en Allemagne parce que soi-disant moins bon, ils auraient dû dire pas assez rentable, mais les Allemands qui avaient eu la Lorraine connaissaient la richesse de notre charbon. Durant toutes ces années bien des hommes politiques sont venus en Lorraine pour justifier qu’il fallait brader et privatiser nos industries, je me souviens d’une manif où l’ami Chérèque (CFDT), puis ministre, était avec eux pour dire que c’était ça l’avenir, faire disparaitre nos mines et notre sidérurgie. Pour ceux qui ont connu son fils, ils peuvent penser que c’est peut être dans les gènes de ce syndicat.

Ensuite, j’ai été mutée à Nantes en 1974. Je me souviens d’une lutte dans le quartier, et il y en a eu de nombreuses, qui avait duré un certain temps contre la municipalité Chauty ; ils avaient décidé qu’une plaine de jeux avec la maison de quartier de la cité Halvêque devait se faire de l’autre côté de la rocade, alors que nous avions la place pour la positionner dans la cité, ce qui a été obtenu à coups de réunions, de pétitions et de manifs.
J’ai toujours milité à la CGT et au Parti. Je craignais parfois que mes trois enfants ne m’en veuillent de les avoir emmenés pour des distributions dans les villages de Lorraine, ils allaient plus vite que les adultes, mais la gentillesse de ceux-ci les récompensaient. Pour vous dire à quel point je me suis investie, souvent mes neveux et nièces me demandaient les dates des fêtes du Parti pour programmer leur mariage, ils savaient que je n’aurais pas hésité. L’engagement des militants m’a fait comprendre qu’il faut aimer les gens pour leur venir en aide, ce n’est pas un engagement pour être reconnu des grands et des puissants, ni pour l’argent bien sûr, mais il faut avoir du cœur, de l’humanité. Un moment qui m’a le plus marqué c’est en 1981, quand nous avons fait alliance avec le Parti socialiste. Ma maman, qui elle ne faisait pas de politique, mais votait De Gaulle et autres compères, m’a dit vous faites une alliance avec cet homme qui retourne sa veste au premier coup de vent, il va vous enterrer. Je lui en voulais presque, mais depuis j’ai compris. À part mes enfants, ma famille proche, pour moi la CGT et le Parti sont ma famille. Ils m’ont tout appris. Je leur ai donné mais j’ai beaucoup reçu en retour. 

Je suis partie en retraite en 1992 et j’ai toujours continué de lutter, de militer, d’agir, de participer aux manifestations. Une manifestation importante et affective encore à mes yeux, c’est à l’occasion de la fermeture de la SEITA  de Nantes-Carquefou. Notre usine faisait des profits immenses et pourtant ils ont décidé de la fermer. Aujourd‘hui le tribunal après combien d’années de luttes a reconnu  qu’il n’y avait pas lieu de licencier à cette époque. 
Quelle honte ! Nos élus communistes, toujours présents dans les luttes se sont relayés devant l’usine avec les grévistes , notre secrétaire départemental Aymeric Seassau les a accompagnés en car à Paris devant le ministère du travail et a même pris des coups par la police pour les défendre.  

Aujourd’hui à 82 ans je ne peux plus très bien marcher, mais je prends toujours la voiture et je vais tenir la permanence CGT à l’UL de Carquefou, j’aurais bien donné une journée au Parti mais il faut aller à l’étage de la fédération et c’est difficile. Parfois tout ça me manque : l’action, le militantisme et je suis heureuse de discuter avec les copains par téléphone ou par mail. Je sais que seul le Parti aura assez d’énergie et de volonté pour mobiliser, rassembler et nous sortir enfin de cette galère. Je dis le Parti, mais je sais bien qu’il faudra toujours le rassemblement «avec d’autres honnêtes cette fois-ci».