Témoignage de Jean-Yves Martin

« Impossible de tout dire en une page, je m’y risque. On ne naît pas communiste, on le devient. De mon adolescence au cœur des Mauges de la Chouannerie, à Cholet, je me souviens que mon père, prof de « la laïque », était « compagnon de route » du PCF. Mais tous mes copains d’école étant cathos et allant au « patro du curé » , réalisme oblige, le jeudi après-midi j’y allais aussi pour être avec eux. Pourtant, je suis resté un fieffé mécréant de la génération Vaillant/Pif-Gadget. Mon tout premier acte militant a été, au 13 mai 1958, de distribuer un tract « De Gaulle = fascisme » - sans en mesurer l’excès - dans les HLM de mon quartier. À l’adolescence, lycéen à Colbert – où j’aurais pu croiser J-M. Ayrault ! - j’étais plus attiré par le rock naissant, le jazz de toujours, et... « SLC », de 17h. à 17h30 sur Europe N°1 ! « Boomer », ok, mais sans honte ni regret.

Quelques années plus tard, j’ai vécu 68 en tant qu’étudiant au Quartier Latin, tout en étant pion dans un lycée de banlieue du sud-est (G.Budé). D’où le privilège d’avoir eu des professeurs de renom, communistes réputés : Jean Dresch (le Maghreb), Pierre George (géo humaine et urbaine).* Côté historiens, c’était l’apogée de Jean Bruhat et d’Albert Soboul (« Sans-culottes de l’An II »), et les débuts de Jean Ellenstein (Hist. de l’URSS).

Loin des lumières de ces grands maîtres, j’ai commencé à enseigner au lycée comme maître-auxiliaire. J’y côtoyais des collègues communistes : les philosophes J.Texier (spécialiste de Gramsci) et Y.Vargas (id. pour Rousseau), ainsi que l’historienne M.Fogel (la monarchie au Siècle des Lumières). Dans la cellule du lycée où nous nous retrouvions, j’étais à bonne école, un peu frondeuse, c’est vrai. Et, pour me hisser au niveau, une boulimie de lecture qui ne m’a jamais quitté depuis : les « classiques du marxisme » aux Éditions sociales (petits formats orange), mais aussi L.Althusser (« Lire le capital » 1965, et « Pour Marx » 1971, chez Maspéro) ! S’y ajoutant, Henri Lefebvre philosophe marxiste « non-orthodoxe », alors « en délicatesse » avec le PCF pour plus de vingt cinq ans : du « Droit à la ville » (1968) à « La production de l’espace » (1974), avec un retour à la « Critique de la vie quotidienne » (1947). Pour moi, parmi les « mille marxismes » d’André Tosel, l’une des bifurcations ratées par mon parti, qui lui préférait alors R.Garaudy !

De l’épisode soixante-huitard, vécu à l’intérieur du grand bazar sorbonnard, j’ai été vacciné, d’une unique dose, contre le gauchisme, cette perpétuelle « maladie infantile du communisme » (Lénine, 1920). Sympathisant depuis un an, mais jugeant ne pas être assez « au point » pour adhérer, je ne l’ai fait qu’à la rentrée de septembre 1968. Le déclic ? le PCF ayant désapprouvé, en août 68, l’intervention du Pacte de Varsovie contre la Tchécoslovaquie du « Printemps de Prague », selon moi un signe d’émancipation tangible à l’égard de Moscou.

Depuis, comme nombre de militant(e)s, j’ai pratiqué tout l’éventail des tâches, ici ou là. Le grattage appliqué des moules à la fête de l’Huma - elle se tenait encore au bois de Vincennes ; les « collages massifs », grands moments de fraternité rigolarde ! la diffusion de ce « journal que l’on vend le matin d’un dimanche », que je n’ai jamais cessée ; le conseil départemental, avec le plaisir d’y écouter Henri Malberg intervenir ; un journal de cellule à Savenay (66 n° de 2001 à 2017), avec un site web communiste du Canton, dès 2001 ; dix ans de pages « culture-idées » dans les NLA, en pleine liberté, avec Aymeric, Yannick puis Jérôme comme rédac-chefs successifs ; des interventions aux formations, philosophique et historique, jusqu’à il y a peu. Sans zapper la case élu (mais aussi un paquet de vestes, de quoi remplir une armoire bretonne). Une première fois en 1970, pour reconquérir une mairie communiste perdue en banlieue sud-est, adjoint au Dr. Guy Berjal. Une seconde fois dans ma commune actuelle depuis 1981, la Chapelle-Launay, pour la gagner, en 2008, contre toute attente, à la gauche unie. Être élu ? C’est à la fois passionnant, stressant et assez frustrant de ne pas pouvoir faire plus pour ceux qui en ont le plus besoin, et devenu tellement chronophage. Mais d’où il ressort ce constat d’évidence : ça vaut le coup, car rien n’est plus pareil dès qu’il y a des élu(e)s communistes dans une assemblée, quelle qu’elle soit, d’une commune à l’État.

Au retour dans mon département natal, en 1978, j’avais donc repris aussitôt contact avec le parti auprès d’Yvette, directrice d’école à Donges, puis avec Maurice, lointain cousin par alliance, à la mode de Brière. Replongée immédiate dans l’activité, et nouvelles rencontres. Au risque d’en oublier, je citerai Pierre et Jean, le résistant et l’historien, que je rejoins à l’AREMORS de Saint-Nazaire (association d’histoire sociale), au milieu des années 1980. Et tant d’autres, comme Régis, grand spécialiste de la littérature antillaise, anticoloniale et pacifiste, numismate à ses heures, intellectuel grand amateur de porte-à-porte et de diffusion de l’HD… Son conseil : « j’ai appris beaucoup. Apprends aussi et tu sauras faire savoir » (2002); Jean-Claude, qui m’a fait l’insigne honneur, très immérité, d’écrire le prologue de son livre «Route de la fin » en 2011. Et depuis longtemps Yann, rezéen complice en histoire, et, plus tard, André, historien-économiste marxiste nantais, qui sont devenus des amis. Et tous les « copains » de l’entre-deux de Saint-Nazaire à Nantes, dans les cellules et sections. En Brière d’abord, avec Hubert, sans oublier Jean-René, qui s’amusait de mon obstination quand, trop prof, j’avais « décidé d’expliquer » ; puis de la Basse-Loire, avec Yannick et Roger… ! Je ne peux évidemment les citer tous/tes.

Quel bilan ? Tous ces visages forment une grande famille où, malgré quelques préventions à l’égard du « parisien » ou de « l’intello », je me suis senti, sans discontinuer, chez moi. Exactement là où je devais être. Au bout du chemin, malgré les doutes (Aragon ne disait-il pas : « je démissionne chaque soir, et je réadhère chaque matin" ? ) et quelques désaccords assumés – ni le lieu ni l’heure d’en parler ici - je sais intimement, n’étant pas né communiste, que je mourrai assurément en l’ayant été, et resté. »