Jeunes communistes à l’École normale de Savenay dans les années 1930

De 1912, son inauguration, à 1998, sa fermeture, l’École Normale de Savenay a été un passage obligé pour tous les élèves instituteurs, non seulement de la Loire-Inférieure, mais également du Morbihan pendant un certain temps. De nombreuses générations s’y sont succèdées, en autant de promotions issues des classes populaires pour la plupart, et de nombreux jeunes hommes, déjà ou futurs communistes. Ils ont ensuite payé un lourd tribut à la guerre qui venait, comme en témoigne la plaque commémorative sur la façade de l’actuel lycée Jacques Prévert, occupant les bâtiments depuis les années 1980, ou encore leurs citations dans le dictionnaire Maitron des militants et des fusillés.

Jeunes normaliens à l’E.N. de Savenay

Le premier dans l’ordre du souvenir est Pierre Mahé : « de 1927 à 1930, je suis allé à l’E.P.S. [École Primaire Supérieure] de Savenay, interne et boursier. Je revenais à La Turballe, chez mes parents, uniquement pendant les vacances d’au moins quatre ou cinq jours. De Savenay, je prenais le « grand » train jusqu’à Guérande. Puis je sautais dans le « tortillard », un train préhistorique brinquebalant, qui me conduisait à la Turballe ». Il souligne que les normaliens de Savenay étaient presque tous d’origine modeste. « Dans ma promo (1930-33) : Émile et Clément étaient fils d’ouvriers, Gustave fils de cordonnier, Armand fils d’un tailleur, Gilbert fils d’un menuisier, André et Pierre fils de douanier, Charles fils d’un gardien de cimetière, Alphonse orphelin, élevé par des grands-parents pauvres, Roger fils d’une veuve receveuse des postes, etc. En gros, des enfants d’ouvriers, d’artisans, de petits fonctionnaires », pour lesquels l’École Normale était une marche assez élevée d’ascension sociale.

Yves Cosson (1919-2012), non-communiste mais qui « navigue à l’estime » en 2009 avec son collègue, le poète nazairien Jean-Claude Lamatabois (1943-2012), plante ainsi le décor : «  le jeune Cosson reçu brillamment à l’École Normale, est jeté hors de son nid ». Il se retrouve à 60 kilomètres de son pays natal [Châteaubriant] desservi par les Cars Drouin après deux heures de trajet. Il s’y retrouve « enfermé, bouclé dans un superbe établissement, genre grande résidence en pleine campagne ». Pour trois ans, de 1935 à 1938, « d’internat rigoureux ». « J’ai détesté cet enfermement », même si « entre nous régnait une sorte d’esprit de famille dans une réelle complicité de potaches prolongés, car nous avions tous de seize à dix-neuf, vingt ans ». Et que des « profs de grande qualité nous faisaient aimer leur enseignement ». Pierre Mahé le confirme aussi : « à l’École Normale – l’E.N. comme on disait – on nous a appris à faire correctement et consciencieusement le difficile métier d’instituteur. On nous inculquait l’esprit laïque légèrement teinté, dans nos régions de l’ouest, d’anticléricalisme ».

Sans excès cependant, car Yves Cosson, lui-même catholique pratiquant – étant l’un des quatre de sa promotion, dûment inscrits, qui vont à l’office de l’église savenaisienne le dimanche – n’omet pas de dire que « mes copains de Savenay avaient vécu la guerre d’Espagne dans l’angoisse. Évidemment, ils tremblaient pour les troupes républicaines. Pour beaucoup ils appartenaient à la classe ouvrière qui avait fait 36, donc aux jeunesses communistes. Aux récrés, ils sortaient de leurs pupitres une grande carte d’Espagne et y marquaient le mouvement des troupes ; leur cœur allait fort justement aux adversaires du sinistre Franco. Guernica fut un véritable coup de poignard au cœur des Espagnols. Nous avions vive conscience que les guerres allaient changer de nature, puisqu’on (les Allemands d’Hitler) s’attaquait pour la première fois aux populations civiles. Ce n’était qu’un sinistre prélude ».

Pierre Mahé se souvient quant à lui du chef d’établissement, depuis le début des années 30. « Notre directeur s’appelait Bouquet, un célibataire endurci, au crâne fortement déplumé. Il nous enseignait, sans nous passionner, la philosophie. Il deviendra célèbre en 1936. Effectuant un voyage en Espagne, la promo de Savenay 33-36 fut prise dans la tourmente franquiste, hébergée et rapatriée par les soins des troupes de Franco. Et Bouquet d’envoyer un télégramme chaleureux de remerciements et de félicitations au général. L’« Œuvre » s’empara de l’histoire. Quelques mois après, Bouquet cessait ses fonctions de directeur d’école normale et était expédié inspecteur primaire dans la région parisienne. »

Bloqués en Andalousie franquiste (été 36)

L’épisode se situant à l’été 1936, on peut préciser que le voyage avait été initialement entrepris vers l’Espagne du Frente Popular, élu dès février 36 – avant même le Front Populaire en France - et le groupe de Savenay s’est donc trouvé piégé par le déclenchement de la guerre civile par les troupes de Franco, débarquant du Maroc, le 17 juillet. Ils sont restés prisonniers 36 jours à Grenade, soupçonnés par les Franquistes « d’espionnage en faveur des communistes » (L’Œuvre du 24 août). L’affaire montre aussi la différence de comportement de son responsable, le directeur de l’EN de Savenay Henri Bouquet, qui semble se rallier à la neutralité de la politique dite de « non-intervention » du gouvernement Léon Blum, en août 36, alors que certains élèves-maîtres se seraient fait remarquer, eux, en levant le poing en signe de soutien à la République espagnole au moment du rembarquement du groupe vers la France, via Tanger et Marseille.

Il en découle donc cette polémique dans la presse, non seulement dans le Populaire de l'Ouest et l'Ouest-Eclair de Nantes, mais jusque dans L’Œuvre à Paris, à qui H.Bouquet envoie même une lettre publiée le 11 septembre 1936, en « droit de réponse ». Il y plaide pour sa "conduite d'un chef d'établissement responsable de 25 jeunes gens dans une ville en état de siège [Grenade] où nous étions doublement suspects comme Français et comme instituteurs" (L’Œuvre, 11 septembre 1936, BNF/Gallica).

A la fin des années trente, avec le déclenchement général de la guerre, les jeunes instituteurs communistes issus de l’école normale de Savenay dans les années trente, paient un bien plus lourd tribut, soit comme déportés, soit comme résistants fusillés.

Citons trois d’entre-eux :

Jean Tonnerre : Né le 8 décembre 1909 à Lorient (Morbihan), mort le 22 octobre 1944 à Limerzel (Morbihan) ; instituteur ; résistant FTPF puis FFI. En Loire-Atlantique, il est inscrit comme élève-instituteur, promotion 1926-1929, sur la plaque commémorative de l’École Normale de Savenay, plaque aujourd’hui apposée sur le mur extérieur du Lycée Prévert, rue Jules Malègue à Savenay.

Joseph Fraud : Né le 21 février 1921 à Saint-Vincent-des-Landes (Loire-Inférieure, Loire-Atlantique), mort le 25 février 1969 à Gonesse (Val-d’Oise) ; instituteur ; militant communiste et militant pédagogique de Loire-Inférieure ; résistant, déporté à Buchenwald.
Joseph Fraud fut envoyé à l’école publique au gré des déplacements de son père employé des chemins de fer (compagnie de l’État): d’abord à Domfront (Orne) en 1927-1929, puis au Mans (Sarthe) en 1930-31, enfin à Blain (Loire-Inférieure) en 1932 lorsque son père fut nommé chef de gare à Treillières (Loire-Inférieure). Il fut reçu premier au certificat d’études primaires dans son canton et réussit le concours des bourses nationales. Il suivit alors le cours complémentaire de Blain où il devint pensionnaire. Après le brevet élémentaire, il fut reçu quatrième au concours d’entrée à l’École normale de Savenay en 1938.

Marcel Viaud : Né le 12 février 1908 à Quilly (Loire-Inférieure, Loire-Atlantique), fusillé le 13 février 1943 au terrain militaire du Bêle à Nantes (Loire-Inférieure, Loire-Atlantique) ; instituteur ; militant communiste ; membre de l’Organisation spéciale (OS)

Après ses études primaires et primaires supérieures, il fut reçu au concours de l’École normale d’instituteurs de Savenay (Loire-Inférieure, Loire-Atlantique). Devenu instituteur, il fut trésorier du Syndicat national des instituteurs avant guerre et adhéra au Parti communiste français (PCF) en 1937. Il exerça une douzaine d’années à Châteaubriant où, en 1939, il travailla, ainsi que sa femme, Anna, à l’école des Terrasses. Après un procès fin janvier 1943, il est fusillé avec 36 autres condamnés communistes le 13 février 1943 au terrain du Bèle à Nantes (voir : https://resistance-44.fr/?Fusilles-du-13-fevrier-1943).

 

Sources :

Pierre Mahé, Raconte Pierre, AREMORS, 1994.
Régis Antoine et Jean-Claude Lamatabois, Loire-Atlantique, espace d’espoirs, Le petit Véhicule, 2002
Jean-Claude Lamatabois et Yves Cosson, Navigation à l’estime, D’Orbestier, 2009
AHLS, Savenay : vieux murs, jeune lycée, 1912-2012, Ed.AHLS, 2012.
Dictionnaire biographique Maitron en ligne : maitron.fr