"Prisonnier en 1940, après 5 ans en Allemagne, notre père Raoul à son retour de captivité, avait trouvé un poste d’aide-comptable aux Chantiers de l’Atlantique à Saint-Nazaire. Chaque jour, Il faisait l’aller-retour en vélo depuis HERBIGNAC, au nord de la Brière. La fin de la semaine se passait à bêcher le jardin, pour nourrir sa femme et ses quatre enfants.
Sans doute c’était dans l’air du temps ? Toujours est-il qu’à l’automne 52, l’idée lui vint que l’avenir de sa famille serait mieux assuré en partant travailler à Paris.
L’exode dura 14 heures, dans une traction Citroën noire, trois à l’avant, trois à l’arrière.
Nous allions squatter pendant dix années un deux pièces-cuisine. Un taudis dont les murs de la chambre des trois garçons ruisselaient d’humidité en hiver. Il y eut un avant et un après.
L’éden perdu de chez notre grand-mère avait disparu de nos souvenirs.
J’étais le troisième, j’avais 4 ans et demi.
Par la fenêtre du logement, longtemps j’ai lu sur le mur de l’immeuble d’en face, de grandes lettres blanches peintes à la main : « VOTEZ Étienne FAJON pour que ça change! ». Je ne savais pas qui était ce FAJON, mais je n’étais pas contre changer le monde dans lequel nous avions échoué.
Nous étions domiciliés juste en face de la section du Parti Communiste de Clichy (dans le département de la Seine), à coté du café arabe.
Notre enfance se passait entre la cour de l’école laïque et celle du patronage des curés.
Pour notre mère, suivre le catéchisme et chanter à la chorale ne pouvait que nous donner un bon encadrement pour nous préserver des mauvaises influences d’une société en pleine évolution.
Nous n’avions pas la télévision. Le seul lien avec les événements extérieurs passait par les informations de la radio ou les actualités, quand exceptionnellement nous allions au cinéma. Il y avait des sujets plus graves que d’autres, comme la défaite de DIÊN BIÊN PHU, les chars russes à Budapest… La grande question qui semblait inquiéter nos parents, c’était si notre frère aîné allait partir faire la guerre en Algérie. Mais, nous ne parlions pas politique à la maison. Pas davantage à l’école, nous en étions exclus. Ce n’était pas de notre âge.
Les « trente glorieuses » ne l’étaient pas pour tout le monde.
Bientôt arrivèrent les licenciements et les conflits avec les patrons. Il y avait des mots compliqués, comme prud’hommes, procès et dettes à payer. En conséquence, notre mère qui tenait les cordons de la bourse comme elle pouvait, fut conduite à diviser par moitié les pommes en fin de repas.
Pourtant un matin d’octobre 1957, à l’heure du petit déjeuner, le poste diffusait une curieuse musique, jamais entendu jusque-là. « C’est quoi ? - ce sont les russes, c’est SPOUTNIK qu’ils appellent ça... ». J’étais à quelques semaines de mes dix ans. Je venais de découvrir un nouvel horizon, dont personne ne m’avait jamais parlé jusqu’alors. Dorénavant, mon intérêt pour la conquête spatiale allait me conduire à une prise de conscience : les informations ne diffusaient pas que des réalités « vraies ». Pourtant toutes ces premières fois venaient de ce pays lointain, derrière
« un rideau en fer » disait-on. Il ne pouvait pas copier, sur personne puisqu’ils étaient à chaque fois les premiers : premier satellite, premier homme dans l’espace, premier robot sur la lune, première femme, premier piéton, première station…
A contrario, au collège, mes cours d’Histoire me révélaient un autre classement, dont l’initiative revenait toujours aux mêmes, … premières bombes A par deux fois, sur la population japonaise, première bombe H, défoliant, bombes à fragmentation… La course aux armements de destruction massive hantait « l’équilibre de la terreur », et les enjeux du maintien de la paix, de la coexistence pacifique entre « deux blocs ».
Quelques années plus tard, je m’inscrivais à la faculté de Nanterre à l’automne 66, pour devenir professeur d’Histoire. Je pensais être vaguement de gauche. Le seul journal acheté de temps en temps à la maison… c’était France-Soir ! En 67/68, les choses sérieuses commencèrent ...
Nous étions en pleine guerre du VIETNAM, ceux qui militaient le plus activement pour que cesse l’agression américaine, c’étaient les Étudiants communistes. Je me mis à acheter le journal l’Humanité au kiosque de la fac et ma stigmatisation ne tarda pas : « t’es communiste toi maintenant ? ! - qu’est-ce qui te fais dire ça ?- Ben t’as l’Huma sous le bras ! ».
Les provocations immatures de Cohn-Bendit notamment en mars 68, bousculèrent ma culture idéaliste de catho de province. Je passais les deux mois du printemps avec l’U.E.C. et les camarades du PCF de la ville de Nanterre. Un matin, un membre du Parti déclara en début de réunion : « Bon maintenant c’est fini les barricades au quartier latin, c’est la classe ouvrière qui prend le relais dans les boîtes, nous commençons une grève générale ! ».
J’avais pris le train à La Folie-Nanterre pour regagner la gare saint-Lazare. A l’arrivée, surprise, il régnait un silence oppressant. Tous les trains étaient à l’arrêt, la grève était en marche.
Cet évènement me fit grande impression. Ainsi le Parti Communiste était une force politique tellement organisée qu’un mot d’ordre annoncé le matin pouvait se concrétiser dans tout le pays quelques heures plus tard !
J’ai alors tout appris des communistes… pour comprendre le monde et le sens de l’Histoire.
C’étaient majoritairement des militants ouvriers, souvent issus de la résistance. Ils m’ont expliqué la place déterminante des entreprises, le rôle de la classe ouvrière. Les évènements trouvaient leur sens à travers l’analyse concrète qu’ils en faisaient au quotidien. Ils m’ont parlé de la lutte des classes en France et à l’échelle internationale. Le peuple de France n’était pas seul, d’autres luttaient à travers le monde aidés par le camp socialiste, et les mouvements de libération : les peuples d’Indochine, des pays d’Afrique et d’Amérique latine, Cuba… A Moscou, il y avait l’université Patrice LUMUMBA, où les dirigeants du monde entier se formaient.
J’ai découvert une nouvelle grille de lecture pour comprendre l’actualité, déconstruire tout ce que la société capitaliste, son système scolaire, les médias nous dissimulaient. A la rentrée de septembre 1968 j’adhérais à l’U.E.C., et un an plus tard je donnais mon adhésion au Parti.
Au-delà de mes convictions nouvelles, je savais que nos écoles de formation allaient me donner un coup de main pour être à la hauteur de mes nouvelles responsabilités professionnelles (enseignant) et politiques (secrétaire de la section puis élu en 83 dans la municipalité d’Union dont Delors était le maire). J’appris le matérialisme philosophique et historique. Non seulement je ne crois pas que ces outils d’analyse soient dépassés, mais j’ai passé des décennies à les transmettre à mes élèves et mes étudiants. Un jour à la fin du cours une élève de première E.S vint m’interroger dubitative « monsieur pourquoi ils nous mentent ? »
Nos ennemis de classe nous donnent un éclairage singulier sur nos tentations de renoncement. Eux ne doutent pas de la force de nos idées. Ils redoutent par dessus tout une progression nouvelle de la conscience des peuples. Il n’y qu’à voir l’acharnement qu’ils mettent à caricaturer les expériences progressistes et révolutionnaires, à essayer d’éradiquer le moindre espoir, l’idée même d’une autre société possible et nécessaire : l’Histoire serait terminée, les classes sociales n’existeraient plus, le marxisme serait une vieille histoire dépassée... « Vous pourriez nous préciser en quoi ?... -Euh une autre fois, j’ai pas pris mes fiches avec moi…» me répondit un jour une conférencière libérale.
La bataille est idéologique plus que jamais.
Quelle satisfaction d’avoir fait en sorte qu’Henri DUGUY vienne au lycée Camus de Nantes devant deux classes de première, pour y déjouer la tentative de récupération de Sarkozy sur Guy Môquet, pour leur exposer le rôle de la génération de 36, qui emprisonnée au camp de CHOISEUL, trouvait le moyen d’organiser la résistance face à l’occupant nazie."